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La responsabilité de l'expert judiciaire

  • francoisbiquillon
  • 21 mars
  • 4 min de lecture

L’admission récente de la responsabilité de l’expert judiciaire

Pendant longtemps, la jurisprudence s’est montrée hostile à la mise en cause de la responsabilité civile de l'expert judiciaire et faisait bénéficier ce dernier de l’immunité applicable aux magistrats.


Cette jurisprudence n’a plus cours aujourd’hui, et le juge est dorénavant tenu d’opérer une distinction entre l’avis de l’expert et la décision du juge, le premier pouvant être remis en cause sans toucher à l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la seconde.


Quelle nature de responsabilité ?

La responsabilité des experts judiciaires est une responsabilité extracontractuelle de droit commun fondée sur l’article 1240 du code civil.

Les experts de justice exercent une mission que leur a confiée le juge, et non les parties. Leur responsabilité civile obéit au droit com­mun de la responsabilité extracontractuelle : l’article 1240 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».

L’article 1241 dudit code dispose que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »


La responsabilité personnelle d’un expert judiciairement désigné, à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission, est engagée conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile ; qu’il en est ainsi même si le juge a suivi l’avis de l’expert dans l’ignorance de l’erreur dont son rapport, qui a influé sur la décision, était entaché » (Civ. 2e, 8 oct. 1986, n° 85-14.201 ).


Ainsi, il convient de démontrer que l’expert a commis une faute qui a entraîné un préjudice pour l’une des parties et que la relation de cause à effet entre la faute et le préjudice est établie.


A l’inverse, la responsabilité de l’expert amiable (c’est à dire l’expert qui n’est pas désigné par le tribunal) est de nature contractuelle.


Quelle juridiction ?

Il s’agit du tribunal judiciaire et non de la juridiction administrative.


Quelle prescription ?

La prescription obéit au droit commun civil. Conformément à l’article 2224 du code civil, les actions en responsabilité contre l’expert se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».


Quelle faute de l’expert judiciaire ?

Toute faute, même légère et non intentionnelle, suffit à engager la responsabilité de l’expert, à condition qu’elle ait causé un préjudice au demandeur (CA Nancy 27 janv. 2011, n° 03/01074).

Il existe deux grandes catégories de fautes de l’expert judiciaire :

  • Les man­quements aux obligations procédurales (respect du contradictoire, diligence, etc.), c’est à dire le non-respect de la forme ;

  • Les fautes dans l’accom­plissement intellectuel de la mission, c’est à dire des manquements sur le fond (la technique, son cœur de métier)


Le lien de causalité : la décision préjudiciable du juge est fondée sur les erreurs de l’expert

Le demandeur doit démontrer que le juge s’est fondé sur le rapport d’expertise (et, plus précisément, sur les erreurs affectant ce rapport) pour rendre la décision ayant causé préjudice.


Sauf à revenir à la conception ancienne et dépassée voulant que le rapport obtient autorité de la chose jugée par la décision du juge du fond, il n’est plus nécessaire de prouver que la rapport a échappé à la discussion des parties.


Quelles sanctions pour l’expert judiciaire défaillant ?

  • L’indemnisation

Si le juge a rendu sa décision ayant lésé le demandeur sur la base d’erreurs contenues dans le rapport de l’expert judiciaire, dès lors que la preuve de la faute de l’expert est rapportée et que le lien de causalité entre la faute et le préjudice est établi, le préjudice est indemnisable. Des dommages et intérêts seront le cas échéant alloués au demandeur. Parfois, le préjudice consiste en une perte de chance.

La Cour de cassation a considéré que le lien de causalité est établi si la faute de l’expert judiciaire est à l’origine de la « persistance des dommages » Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 13-28351 – 14-14275.

  • Le remplacement

Si l’expert n’a pas déposé son rapport dans le délai imparti sans pouvoir arguer d’un empê­chement légitime, l’article 235, aL 2 du Code de procédure civile prévoit que les parties peuvent demander son remplacement. Le juge peut également, d’office, remplacer le professionnel qui manquerait à ses devoirs. L’expert pourra de surcroît être condamné à verser des dommages et intérêts à la (les) partie(s).

  • L’annulation du rapport

Lorsque l’expertise est annulée suite à une irrégularité de fond ou de forme, la respon­sabilité civile de l’expert peut être engagée (non-accomplissement personnel de la mission, irrégularité affectant le déroulement des opérations d’expertise … ). Le rapport ayant fait l’objet d’une annulation, une partie peut notamment tenter d’obtenir de l’expert l’indemnisation des frais engen­drés par l’expertise et de se prévaloir d’une perte de chance en raison de l’allongement de la durée du procès du fait de l’expertise annulée.

Exemples :

  • Survenance de l’insolvabilité d’un débiteur à l’issue d’une expertise annulée.

  • Perte d’exploitation consécutive à la fermeture d’un local commercial affecté par des désordres, objets de l’expertise annulée.

  • Vente immobilière retardée ou empêchée.


  • La radiation de la liste des experts

(rep. ministérielle JOAN 22 juin 1977 p. 4088).


Le jugement au fond entérinant le rapport empêche-t-il la mise en cause de l’expert ?

Par le passé, il était soutenu que l’expert cesse d’encourir une responsabilité quelconque quand son rapport adopté par un jugement passé en force de chose jugée fait corps avec le jugement (Dijon, 25 juill. 1854, DP 1854. 2. 249. – Pau, 30 déc. 1863, S. 1864. 2. 32. – Comp. Req. 26 oct. 1914, DP 1916. 1. 53). Mais ce n’est pas revenir sur la chose jugée que de demander à l’expert la réparation du préjudice qui a été causé par sa faute. En effet, le rapport d’expertise n’est qu’un élément dans lequel le juge puise sa décision, son homologation ou adoption ne pouvant pas faire disparaître ni son caractère de simple élément technique ni la responsabilité de son auteur s’il a commis une faute. Il suffit alors que la faute commise soit en lien avec la survenance du dommage pour engager la responsabilité de l’expert, sans qu’il n’y ait plus lieu de s’arrêter à son caractère grave ou non.





 
 
 

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